Décembre 2020, Gare Montparnasse.
Samedi après-midi, entre Noël et Nouvel an. J’ai monté le son de ma playlist dans mes oreilles, et je m’arrête au milieu du flot des voyageurs. Nez en l’air, et masque dessus. J’avais oublié. J’avais oublié cette atmosphère du voyage, de vacances, cette frénésie, ce mouvement. Ces gens qui fourmillent. Ils courent, tous. Qui sait dans quelle direction, qui sait vers quelle train? Où vont-ils? Y aura t-il l’océan en fin de trajet, ou la Garonne? Est-ce qu’ils retrouveront papi et mamie ce soir? Est-ce eux qui apporteront leurs cadeaux à Arthur et Margaux demain matin?
Cela m’avait manqué. J’avais oublié que le train avançait, et que j’avançais avec lui, que je ne restais pas bloquée dans mon appartement. J’avais oublié ces paysages qui défilent, et qui laissent mes pensées vagabonder. Je sais que mon esprit a besoin du mouvement, mais mon corps avait oublié que c’était tout aussi nécessaire pour lui. Ces inconnus m’avaient manqués, tout comme leur capacité à faire vaquer mon imagination.
J’aimerais voir leurs sourires, leur bonheur d’avoir passé Noël en famille. Au lieu de cela je ne vois qu’une armée de masques bleutés, et quelques yeux sombres. Peu d’allégresse, pas d’insouciance. Ces deux notions sont liées, et cette année 2021 qui s’annonce sans projets précis a tendance à m’angoisser.
J’aimerais lâcher prise, et hurler un bon coup. 2020 a usé mon corps et fatigué mon esprit. Je ne peux pourtant pas cracher sur ces mois qui viennent de défiler, dedans s’y sont mêlés le meilleur et le pire. Le meilleur, qui s’est accroché alors que je ne l’attendais plus, et a poussé telle une ronce au milieu de cette cocotte-minute d’orties dans laquelle j’étais enfermée depuis le début du premier confinement. Et une rose en est sortie. Puis chacune de ses pétales a formé cet abri, dans lequel je me suis blottie chaque soir de ce deuxième confinement.
Aujourd’hui j’aimerais enfin pouvoir repousser ces limites que la crise sanitaire nous a imposées, sortir de cette cocotte-minute et retrouver l’insouciance du temps d’avant, de 2019, des voyages, des projets. Respirer à pleins poumons le même air que tout le monde, et discuter avec de parfaits inconnus, sans avoir peur qu’ils ne nous contaminent. J’aimerais retrouver l’inspiration, lâcher prise, et retrouver la légèreté que me procure le mouvement. Ecrire.
J’ai eu en cadeau un cahier pour Noël. Pour les futurs voyages que l’on fera. Mais je ne sais pas vraiment écrire immobilisée. C’est dans les transports que cela sort. Mon esprit est plus alerte. Une fois assise dans le train, une fois les considérations matérielles mises de coté, mon esprit devient libre et peut se laisser aller à vagabonder d’une pensée à l’autre. Je sors papier et stylo et j’y gratte les mots qui se bousculent dans ma tête.
En voyage j’ai des feuilles volantes, pour noter les idées, les réflexions, tout ce qui me passe par la tête. Mon smartphone fait parfois office de dictaphone, si le papier et le stylo sont trop loin. Sur papier les mots sont plus fluides, guidés par le mouvement de la main plutôt que par l’esprit fermé du correcteur automatique. L’espace est plus large et me détache de mon smartphone, qui fait déjà trop partie de mon quotidien. En voyage, comme dans ma vie de tous les jours, j’ai toujours un carnet dans mon sac.
Carnet ou feuilles volantes, les deux ont la même utilité: y mettre ce qui est dans ma tête, pour qu’après je puisse y ranger des souvenirs, et faire de la place. Mon cahier de voyage comporte dates, lieux, gens et réflexions intimes. J’y colle tickets de bus et pass de musées. Il sera étiqueté, et rangé dans une étagère au retour, au milieu des autres, ceux qui avant lui ont traversé l’Atlantique, et passé plusieurs mois au fond d’un backpack. Au contraire du cahier qui ne sera pas retouché, témoin fidèle d’un moment gravé pour l’éternité, mes pensées sur papiers vont être réorganisées pour faire l’objet d’articles de blog. D’idées en vrac, cela deviendra un article ponctué de photos, relu une dizaine de fois avant publication.
J’aime ces moments rien qu’à moi dans les voyages, où je m’isole pour écrire. Je vois cela comme un temps de réflexion, pendant que mes compagnons de voyage lisent et jouent sur leurs portables. Parfois
le flot de mes pensées devient plus fort que l’écriture, le crayon ne note plus. Je pose mon crayon, et comme l’on pense que je suis disponible, c’est souvent dans ces moments là qu’on vient me parler. Et la plupart du temps c’était dans ces moments que je faisais une de ces rencontres que seuls les voyages savent nous offrir.
Insuffler plus de légèreté dans 2021? Je relis mes articles, et ces mots de mars 2019, il y a bientôt deux ans, lorsqu’à mon retour de sabbatique j’écrivais que « la liberté n’est pas loin« . Je ne suis pas certaine de réussir à quitter l’Europe en 2021. Mais je ferai en sorte d’insuffler plus d’esprit du voyage dans 2021, avec autant d’improvisation que possible. J’y saupoudrai de l’aventure humaine, beaucoup de petits plaisirs, et surtout, surtout de la buena onda.