Ces derniers temps, j’ai peu voyagé pour moi, pour des raisons de temps, et de finances. A l’approche de l’été, et en attendant de partir plus loin, je voulais mettre le doigt sur ces petits plaisirs du voyage et quotidien, plus simplement, de façon totalement objective, à la manière de ce petit livre si agréable à (re)lire « La première gorgée de bière« , de Philippe Delerm.
Le soleil est encore timide en cette fin de juin et on se raccroche plus que jamais à de petits riens. Comme traîner en terrasse alors qu’il fait encore jour, et voir le soleil rosir la Seine. Il est trop tard pour retrouver des grains de sables dans les sacs de voyage, et encore trop tôt – ou trop loin – pour sortir les maillots de bain. Ma prochaine escapade n’est pas encore pour demain. Alors je ressors d’un coin de ma tête ces petits instants furtifs de bonheur pur, accumulés lors d’échappées belles. Ces petits riens, qui me font toucher le bonheur du bout des doigts.
- Monter dans un train le vendredi soir. Avec une préférence pour ceux partant de la gare de Lyon. Ils sont synonymes de cimes. Voir défiler la France depuis la vitre de mon TGV est un spectacle dont je ne me lasserai jamais. Les arbres se succèdent au rythme des nuages et je m’extasie toujours d’un clocher ou un coucher de soleil. Le premier sommet aperçu dans le lointain m’arrache immanquablement un sourire. Sourire qui ne s’efface plus jusqu’à mon arrivée en gare d’Annecy.
- La première fondue de l’année. Ce moment tant attendu où l’on trempe son pain dans le caquelon, avec précaution pour ne pas qu’il s’échappe, dans le moelleux du mélange doré, promesse de croquant et de douceur sur les papilles.
- Regarder la neige tomber depuis sa fenêtre. A chaque neige, je me retrouve à Groisy, dans notre ancienne maison. J’ai 14 ans. Il fait nuit. Assise le dos au mur, je regarde par la porte-fenêtre de ma chambre. Les flocons n’en finissent plus de virevolter dans le jardin. Le ciel blanchâtre ressemble à du coton. On dirait que le temps s’est arrêté, apaisé par le blanc. Il n’y a pas plus beau spectacle, même à Paris.
- Descendre sa première piste depuis des mois. C’est toujours le même geste, pied droit d’abord, chaussure au fond de la fixation. Chack. Pied gauche ensuite. Chack. Enfin, la petite pression des bâtons, et cet air froid dans lequel on s’engouffre dès les premiers virages.
- Le premier pépillement des oiseaux. Le premier, celui qui me fait sursauter: j’en avais presque oublié leur existence dans la grisaille de l’hiver.
- Prendre un verre en Mars, sur une terrasse ensoleillée. On ne peut pas encore enlever la veste, mais qu’importe, ce moment est comme une promesse.
- Sortir de chez soi à 7h le matin les baskets aux pieds pour aller courir avec les potes le long du Canal. Avant que Paris ne s’éveille. On sent l’effervescence de la ville qui se retient et on profite de cet instant privilégié, comme l’esquisse d’une journée agréable.
- Avril, et sa promesse d’été. J’aime ce mois. Les bourgeons sortent un à un, les oiseaux osent pépiller de plus en plus fort et le vert redevient la couleur dominante. C’est au bord du Canal Saint-Martin que l’espoir des beaux jours se fait encore plus ressentir, entre apéros et pétanques.
- M’allonger dans l’herbe. Pieds nus. Acte innocent s’il en est, mais je pourrais me faire avaler par la terre tellement ce moment me ressource.
- La première trace de bronzage, celle que l’on guette longuement. On avait passé cette première après-midi en terrasse et ça y est, ça a rosi dans le décolleté. Pour l’instant ça picote, mais demain ça aura caramélisé.
- Prendre un Vélib de bon matin. Ou juste mon vélo en ce moment. L’énergie que ça me procure m’accompagne pour presque toute la journée.
- La phrase, l’expression, le mot juste partagé avec les amis de toujours, au milieu d’une conversation, et qui fera remonter tous les souvenirs. Ou ce mot à l’envers, qui me fait rire et que je note pour le ressortir plus tard. Mon smartphone et mes carnets sont remplis de phrases anodines qui sorties du contexte ne veulent absolument rien dire. Un mot, un sourire, et je me retrouve à rire en repensant à ce fou rire incontrôlable à Sianoukville, ces parties endiablées de Dooble au fond d’une Bretagne pluvieuse, ou n’importe quel weekend prolongé entre cousins.
- La première baignade dans le lac. Mon lac. Il faut d’abord y mettre la pointe des pieds, puis une fois immergé, on fait quelques brasses avant de plonger la tête. Enfin on se retourne. Pas la peine d’aller jusqu’à la bouée, quelques mètres suffisent pour mettre de la distance avec la plage. Le Mont Veyrier nous fait face, la Tournette est encore enneigée, les montagnes sont toujours là. Seule entourée de bleu, sensation de petitesse dans ce joyau bleu dans son écrin montagneux.
- Croquer dans ma première cerise. Savourer ce premier morceau et faire attention à ce rouge qui dégouline. Savoir que je n’ai qu’un mois pour en profiter. Le brugnon, la fraise, ou le raisin peuvent me faire le même effet. Comme des témoins de l’année qui s’écoule.
- Le premier baiser. On aura beau l’avoir imaginé, il reste unique, et laisse un sourire, un frisson furtif dans le bas du ventre.
- Manger une glace. Je ne sais plus laquelle est la première de l’année depuis que je connais Alex, mais le plaisir est renouvelé à chaque fois.
- Se lever tôt le samedi. En plus de l’avenir, c’est le weekend qui nous appartient. Sensation de bonheur quand à midi tout a été fait et que ce qui reste est plaisir.
- Voyager à l’aide d’un plat, en restant en France. Sorte de madeleine de Proust, le prix du billet d’avion en moins. J’ai réussi à retourner à Montréal avec une cuillère de poutine alors que j’étais à Paris. Chaque gorgée de limoncello, même bue dans mon appartement du 11ème arrondissement me transporte en Italie.
- A l’inverse, certains plats ne se mangent que sur place,
dans leur pays d’origine. La gaufre encore chaude, dans les ruelles bruxelloises. Le bretzel en escale à Francfort. Le kanebulle suédois, que l’on brise à deux mains pour mieux en savourer la cannelle. - Une playlist en mode aléatoire. Laissée sans surveillance, elle tourne et virevolte, jusqu’à ce son qui s’immisce dans mes oreilles, bousculant un tas de souvenirs sur son passage. Le moment présent s’efface totalement pendant plusieurs secondes.
- Le goût du burger après une belle course de 42 kilomètres, et plusieurs semaines de privation. Le plaisir procuré par la première gorgée de bière qui suit en est presque indescriptible.
- Cette odeur si particulière du soleil sur la peau, au mois de juillet, dans le creux du bras. J’ai beau être encore à Paris, la respirer me transporte immanquablement au bord de la plage.
- Le grain de sel dans la baratte, étalé sur une tartine avant qu’on y rajoute du miel, et dévoré sur ma terrasse bretonne aux premiers rayons de soleil. Le sel croque sous la dent.
- Descendre les escaliers de la Gare Montparnasse avec hâte le dimanche soir, au milieu de tous ces autres passagers rougis par le soleil, encore pleins de crème solaire et de soleil, remplis de souvenirs assez doux pour tenir une semaine entière, un peu de melon au creux des lèvres.
Je crois que j’ai le bonheur facile.
Il m’en faut peu pour être heureuse. Un train, un run en forêt, une chanson, un plat de ma mamie, un rayon de soleil, un mot bien placé peuvent suffire à me faire sourire.
Ou juste planifier le prochain voyage. Encore. Toujours. Plus loin.