Après quatre ans à vivre dans la même ville, on commence à ne plus vraiment faire attention à l’endroit où l’on pose les pieds. Avant d’atterrir à Paris, j’avais multiplié les séjours courts partout où j’allais, m’arrêtant dix mois à Bordeaux, six à Marseille, quatre à Rome, trois à Auckland. Rarement plus longtemps. J’emportais peu d’attaches matérielles avec moi, ma vie rentrait alors dans un sac à dos et une valise – le reste bien rangé dans les Alpes. Je repartais à chaque fois vers un nouveau lieu, pleine de souvenirs et de promesses de revenir.
Puis je suis arrivée dans la capitale. Par erreur, pour le travail. Au début, quand je rentrais à la maison tous les deux mois, je répétais aux copains – qui me traitaient déjà de « Parisienne » – que c’était temporaire, que mon retour en Rhône-Alpes ou sur les routes n’était qu’une question de mois…
En quatre ans à Paris, j’ai appris à esquiver les gens dans la rue pour ne pas leur rentrer dedans. A toujours me ranger du coté droit de l’escalator pour ne pas gêner, et à râler quand les touristes ne respectent pas cette règle pourtant si simple. J’ai appris plus qu’ailleurs la valeur d’une seconde perdue dans les transports, alors que l’on doit attraper son train du vendredi après-midi. J’ai enfin compris que personne ne faisait la tête dans le métro le matin, c’est juste une façon discrète de finir sa nuit. Nouvelles compétences oh combien inutiles ailleurs.
Mais j’ai aussi appris la valeur des week-ends, lorsque le temps peut enfin s’étendre avant un rendez-vous avec une amie. Une ponctualité toute relative en dehors des jours de semaine passés à courir. J’ai su enlever mes écouteurs et poser mon bouquin pour regarder ces autres voyageurs de la ligne 7. Qui es-tu ? Où vas-tu ? Qui sont ces gens dans le métro un mardi à 14h27 ?
J’ai appris à slalomer entre les voitures en Vélib, au petit matin, la gueule dans la pollution, le vent dans les cheveux, grisée par cette sensation de liberté toute relative. Je me suis rendue compte que je connaissais les noms des rues, et des troquets où l’on se donne rendez-vous, que j’utilisais de moins en moins mon plan pour trouver mon chemin. Et l’on m’a fait remarquer que je disais Répu, et que je ne quittais plus mon quartier « alors que c’est direct avec la 8 ! » (ou 4, ça marche aussi).
Paris m’a fatiguée. J’ai sorti la ventoline, et j’ai calé mon repas chez ma tante entre l’apéro avec les anciens collègues et le verre de vin avec le rencard du jour. Après les premiers mois, j’en avais presque oublié la valeur des amis prêts à me rejoindre au dernier moment, ceux que l’on appelle à 18h pour la pinte de 19h au QG.
Puis j’ai revu mes critères, Paris m’a surprise. J’y ai rencontré des amis choisis. Différents de ceux que je connaissais avant d’arriver ici. Pas les amis d’amis, déjà adoptés. Des nouveaux, vivant à quelques minutes de Vélib de chez moi, toujours disponibles ou presque. Ceux-là même que je peux déranger à la dernière minute pour voir le dernier épisode de Game of Thrones, partager un burger ou juste un café en bas de la rue, avec les dernières péripéties de la veille.
J’ai pris mon temps. Je me suis surprise à répéter les mêmes schémas chaque weekend, et faire l’impasse sur la visite du musée Rodin, à peine rénové. Tant pis si on ne fait pas tout aujourd’hui, il sera encore là demain. Et puis aller lire mon journal allongée sur l’herbe du square Villemin alors qu’il y a enfin du soleil, ça n’attend pas. J’ai passé mes dimanches à me balader dans mon quartier, après un brunch à deux pas de chez moi. Au milieu de mon quotidien, je suis toujours étonnée d’encore remarquer de nouveaux tags, nouveaux concept stores ou cafés. Je me suis créé des habitudes, remplies de petits plaisirs, comme cette balade dominicale dans le Marais ou sur les pentes de Montmartre, avant de revenir place de la République vers 18h, quand la statue prend une teinte rose orangée, sublimée par le coucher du soleil. Mon Canal Saint-Martin, je l’ai arpenté de long en large, en baskets ou en talons, avec ses piranhas crevés et ses vélibs coulés. Souvent de passage pour une course précise, j’oublie parfois de le regarder. Mais le plus souvent j’y prends mon temps, quitte à multiplier les clichés et les baisers en haut du pont en bois. Je ne me lasserai jamais du bonheur de son réveil fin Avril, lorsque l’on se retrouve à la sortie du boulot sur ses quais, à partager fromage et tariquet dans la lumière du soir.
Et un matin, je me suis surprise à vouloir rester à Paris les weekends. Pour « profiter ». Mes allers-retours haut-savoyards se sont raréfiés, un peu avant que ma carte Jeune SNCF ne soit périmée. J’ai multiplié les bobuns spécial mixtes du Petit Cambodge, les brunchs ensoleillés du Café Monde et médias, les courses chez mon primeur du marché Saint-Quentin, le verre de Chablis chez Prune – après avoir râlé pendant trente minutes à ne pas trouver de place, les listes longues comme mon bras de nouveaux restos à tester, les pintes à l’Eventail parce que l’on n’a pas envie de choisir où aller aujourd’hui, les balades sans but déclaré qui finissent invariablement à la Villette, au parc Belleville ou aux Buttes Chaumont, et ces vendredis soirs où l’apéro se finit à 4h du matin, trois bars plus tard. J’ai trouvé mon QG, et des repères solides.
Ce sont ces repères qui m’ont amenés à me dire que finalement j’étais bien ici. Cette ville immense – dont je ne ferai jamais le tour – m’appartient. Chaque nouvelle rue arpentée m’apporte une découverte. Regarde cet immeuble, tu as vu tout en haut cette salamandre en plâtre ? Tiens, je ne savais pas que ce passage débouchait sur une cour.
En se penchant un peu, on peut voir le ciel à Paris, et parfois les étoiles. Cette vieille ville principalement blanche et grise est pleine de couleurs, de couleurs différentes. Et de verdure aussi. On oublie trop souvent où regarder.
… Quatre années plus tard, je ne suis pas encore partie. Je me revois en Septembre 2011, débarquer à Gare de Lyon, et faire remarquer à ma cousine, qui m’attendait à ma descente du train, que c’était mon premier séjour à Paris sans date de retour. Je n’ai pas quitté la capitale, et je me suis même rapprochée de mon centre choisi, en déménageant du 10ème au 11ème. Pascale Clark avait fait une bien belle chronique sur Inter le samedi 19 novembre 2015, quelques jours après les attentats. « Ça s’est passé en haut à gauche, là où se situe le cœur ». C’est ça, le Nord-Est, le cœur de Paris, le Paris que je me suis choisie.
2015 était l’année où je devais quitter Paris. Je l’avais même écris dans mon agenda, sur une to do list, après « faire trois semi marathons et un Tour du Mont-Blanc ».
2015 est l’année où je suis devenue Parisienne.
Alors maintenant que je suis restée, on va continuer jusqu’à plus soif à arpenter ces rues, et surtout ce Canal, en baskets de running, le nez au vent.
Coucou ma fille, supers, tes derniers articles, j’adore ! Bises.
Je ne savais pas que tu avais un blog, et j’adore vraiment ta façon d’écrire. Je viens de dévorer quelques articles et celui-ci m’a mis la larme à l’oeil… c’est mon quartier aussi (je peux pas dire « c’était ») et je pense que j’ai su que j’étais devenue parisienne en quittant Paris …
Tellement hâte de la retrouver, et de retrouver l’Eventail 🙂
Camille de Boost Repu
Oh merci Camille! Je connaissais pas ton blog non plus, mais cool, continue comme ça, et à viite 🙂