2 février. Aéroport de Rio Galeao. 21h13. Il fait nuit. J’ai changé mes derniers réais contre des dollars états-uniens. J’ai remis ma polaire. J’envoie mon dernier vocal whatsapp à la manière argentine, en tenant mon téléphone à l’horizontale. J’ai le bout du nez qui pèle. Et en attendant l’avion qui m’emmènera loin de l’Amérique latine, je griffonne quelques notes sur mon carnets. La playlist tourne, plus lentement que les souvenirs qui se bousculent dans ma tête, au point d’en faire sortir quelques larmes. Assise sur mon petit strapontin, je prends conscience que ce rêve qui me tenait tant à cœur vient de se réaliser. J’ai parcouru l’Amérique du Sud, en suivant mon propre camino. J’ai du mal à me dire que c’est fini. J’ai du mal à accepter de ne pas savoir quand je remettrai à nouveau les pieds sur ce continent, qui m’a tant apporté pendant cinq mois et demi. Quelques mots de français s’échappent de la bouche du steward pour m’accueillir dans l’avion. Il est si fier de penser me faire plaisir. Et moi si triste.
6 février. Aéroport Paris Charles de Gaulle. Dehors il fait gris, on ne voit pas à dix mètres. Dedans il fait froid, on est en plein hiver. Pour la première fois en six mois, le douanier n’a pas apposé de tampon sur mon passeport. C’est fini. Pour la première fois depuis cent soixante-neuf jours, mon téléphone sonne « Anna, tu es arrivée? Ne rentre pas en RER hein, on vient te chercher ». La vuelta. Le retour. Ça commence. Je ne sais plus très bien. Et pourtant les larmes qui coulent sur mes joues ne sont plus les mêmes, cette fois-ci ce sont celles des retrouvailles.
26 janvier. Je profite. Quand sera la prochaine fois que j’aurai le temps de prendre le temps, de voyager, de vivre cela? J’ai comme une envie d’arrêter le temps dans ce bus pour Paraty. La pluie tombe, et dans mes oreilles tourne la playlist du voyage. Ce n’est pas fini, mais dans une semaine je prendrai l’avion qui me fera quitter l’Amérique latine. Je me suis sacrément attachée à ce continent. Je savais avant de partir que je n’en sortirai pas indemne. Il y a eu des coups de cœur, des coups de gueule, des découvertes, des chants, de la tendresse, des rires, des peurs, des pleurs, de l’amitié, de l’amour. La vie quoi. Ma vie à moi. Bizarre de prendre conscience qu’en fait j’ai juste mis ma vie en pause à Paris, pour aller la vivre plus intensément de l’autre côté de l’Atlantique. J’ai eu le temps en cinq mois et demi.
Je l’ai pris ce temps. Par poignées. Et je l’ai laissé s’écouler doucement entre mes doigts pendant des semaines. J’ai écouté parler les Argentins. Je me suis assise par terre dans des dizaines de gares de bus. J’ai ouvert mon carnet de voyage et puis j’ai laissé vagabonder mon esprit, avant de reprendre le stylo deux heures plus tard.
J’ai discuté avec des Français que je ne reverrai peut-être jamais, mais qui m’ont réappris à prendre mon temps. J’ai fais des choses avec eux des choses complètement incongrues comme chanter « Baby baby baby ooooh » dans un karaoké péruvien, faire la « dancing queen » en Kway bleu flashy en bord de route dans le vent patagonien, essayer de gravir un volcan avec des crampons, hurler du Céline Dion dans un 4×4 bolivien, boire douze grains de raisin pour célébrer la nouvelle année, manger du comté avec des crêpes au petit dèj, réussir à placer « weon » et « po » dans la même phrase, se faire battre par une petite fille de sept ans au Dobble, apprendre à conduire sur une piste de gravier, faire du moto taxi dans une favéla, et j’en passe.
Je crois que ce qu’il me restera de ce voyage ce sera les gens, et leur bienveillance. Peu importe finalement si je les revois – même si j’en ai très envie – chacun m’a apporté quelque chose à sa manière, et même si en apparence je n’ai pas changé, je reviendrai enrichie de ces rencontres (et bronzée, tout de même).
18 janvier. Oui, il y a eu des moments où j’ai eu envie d’arrêter et de rentrer plus tôt, retrouver mon lit douillet, ma couette et les amis qui vivent au bout de ma rue. Oui, j’en ai eu marre de voyager seule. Et pourtant, à trois semaines du retour, une bicyclette s’est installée dans ma tête et je pédale à l’envers. Je n’ai plus envie de rentrer en Europe. Laissez moi tranquille, je vais vivre de maté et de dulce de leche. J’essaye d’entendre ce que me dit mon instinct, mais ses mots ne collent pas avec la voix de la raison.
12 mars. Me voilà rentrée depuis quelques semaines de ce beau voyage. J’ai pris le temps de vider mon bagpack, d’éparpiller des souvenirs un peu partout dans mon appartement, de développer les photos de mon jetable, de recontacter toutes les personnes que j’avais rencontré, et de tenter de faire un bilan. J’ai revu mes proches, mon intestin a redécouvert le fromage, je suis allée skier. Et le travail a repris. J’ai retrouvé ma vie à l’endroit même où je l’avais laissée. Avec les contraintes que j’avais mises de côté. Et pourtant, je ne sais si j’ai envie de tourner cette page.
La liberté n’est pas loin, il suffit juste de garder en tête l’esprit du voyage, laisser grandir les projets qui ont germés dans ma tête pendant tout ce temps, et remettre vite de l’aventure dans ma vie.
Tips numéro 32, l’ultime: toujours penser au prochain voyage dans un coin de sa tête, cela rend le retour plus doux.
tu bois des grains de raisins toi ? 😉
Revenir, c’est aussi pouvoir repartir, et avoir un point d’ancrage, ça permet de ne pas de perdre …
<3
Les grains de raisins étaient dans le verre de champagne, on va donc dire que oui 😉
J’aime bien le concept de rentrer pour ne pas se perdre, je garde en tête, merci Cécile!
Ma chère globe croqueuse,
Vous avez l’air d’etre une personne sensible, sensée, intelligente, gentille, courageuse, inspirante.
Je crois que j’ai de la chance d’etre votre
amie 🙂
Ma chère madame McBernick, vous m’avez tout l’air d’une boute-en-train et ce petit message me touche énormément <3. Quand partons-nous ensemble à l'étranger pour rigoler un peu?