Carnet de voyages en Nouvelle-Zélande, Europe et Amérique du Sud
Faire du stop en Patagonie

Faire du stop en Patagonie

La question de faire du stop s’est posée quand je suis arrivée en Patagonie. Je venais de passer vingt-sept heures dans le bus pour arriver à El Calafate. J’en avais marre de dépenser des sommes indécentes dans des transports qui ne me permettaient ni de gagner du temps, ni de découvrir vraiment le pays. J’ai eu envie de changer de rythme, et de bouger à vitesse humaine. Il s’agirait dorénavant de faire des arrêts dans des villages non répertoriés dans les guides de voyage – guides sur lesquels j’ai d’ailleurs fais l’impasse depuis le début de mon camino – où le voyageur se fait rare et où a priori rien ne justifie une halte. L’idée serait certes de dépenser moins, mais également de rencontrer plus de locaux, Chiliens et Argentins, avec qui partager autre chose qu’un simple échange commercial. Calypso étant sur la même longueur d’ondes que moi, on a démarré dès le lendemain de notre trek, pour quitter Puerto Natales

Le stop, en Patagonie 

Le Chili est l’un des pays les plus sûrs au monde pour faire du stop. Et c’est en Patagonie qu’on trouve des gens qui sont parmi les plus accueillants de cette planète. Bien sûr, il faut rester sur ses gardes, mais avec la « buena onda » patagonienne, « hacer dedo » nous semblait à notre portée. 

Et en effet, à part quelques exceptions sur les quelques 2 500 km parcourus, nous avons rarement attendu plus de quinze minutes au même endroit. Que ce soit à l’arrière d’un pickup ou dans la cabine d’un camionneur, les places attribuées ont été variées. Il y a eu ce petit chien qui ne voulait plus nous quitter, cet ado Porteño qui m’a conseillé de ne pas parler politique avec n’importe qui en Argentine, et cette famille de Santiago en vacances qui nous aurait bien prises avec elle. On a découvert la route au long cours avec les camionneurs argentins, qui ont partagé avec nous leur maté. Au bout de quelques jours, on a arrêté de compter les heures passées en leur compagnie, à rouler à 30 kilomètres par heure sur une piste cabossée, et on a monté le son de la radio avec Cristian pour siffloter des airs de cumbia, après avoir passé le détroit de Magellan. 

Il y a bien sûr eu ces moments où j’en ai eu marre d’attendre dans le vent patagonien – un mélange de mistral et vent breton, glacial. Calypso montait alors le son de son portable et on se retrouvait à danser sur du ABBA au milieu d’une route déserte. Il y a eu ces migraines dues au fait de parler pendant des heures une autre langue que la mienne, perchée dans la cabine d’un quarante-sept tonnes depuis cinq heures. S’est rajoutée à cela la fatigue de traverser cinq fois en dix jours les frontières entre Argentine et Chili. Et pourtant, c’était incroyable. Je ne pourrai effacer de ma mémoire ces moments où les paysages interminables de la steppe patagonienne ont laissé la place aux montagnes enneigées et encaissées de la Terre de Feu. Le pare-brise devenait un écran géant et ma fatigue s’effaçait dans ces ciels immenses au couleurs extraordinaires, que seules les étendues américaines savent produire. 

On les a écouté nos bienfaiteurs. Parfois j’étais trop occupée à compter les guanacos sur le bord de la route. Mais souvent j’ai tendu l’oreille, et relancé, pour en savoir plus. Veronica, la seule femme à nous avoir pris en stop, s’est lancée dans une diatribe pour défendre l’avortement et dénoncer le machisme omniprésent en Argentine. Au-delà des questions sur notre voyage, tous les Argentins nous ont demandé quel était le coût de la vie en France, avant de déplorer l’état actuel de leur pays, l’inflation croissante, la corruption qui gangrène toutes les tranches de la pollution, et les politiciens pourris. En plusieurs journées sur la route, j’ai appris à connaître cette Argentine que j’aimais déjà tellement, qui possède un peuple incroyable et tant de ressources, mais qui ne changera sûrement jamais, à cause du manque d’éducation et la corruption, comme tous le disent eux-mêmes. Et au-delà, j’ai découverts ces camionneurs, hommes surprenants, passionnés par leur métier, que ce soit pour le plaisir d’être seul, celui de pouvoir réfléchir toute la journée, ou simplement avoir cette diversité de paysages qui défile et change à chaque instant devant leurs yeux. 

Puis il y a eu ces cadeaux, comme ces deux gars de Rio Grande qui ont fait un détour de quarante kilomètres pour nous déposer à la frontière, malgré nos protestations, juste pour être certains que nous arrivions à bon port. Ou Veronica, encore, avec son point de vue féministe rafraîchissant et sa générosité, qui a logée Calypso pendants trois nuits, quand je filais à El Chalten. Et enfin, les deux Fernando. Un jeune guide montagnard comme je les aime, qui m’a fait rêver en me parlant des Siete cumbres – les sept plus hauts sommets de chaque continent; et cet autre camionneur qui nous a prises au départ d’Ushuaia et qui, en plus de nous avoir fait rire pendant quatre heures, nous a gratifié d’un cours d’histoire sur la guerre des Malouines, la dictature militaire argentine, et les bienfaits des gouvernements Kirchner. Puis, comme quasiment à chaque fois, le trajet s’est fini sur une accolade sincère en bord de chemin. 

Stevenson disait: « voyager plein d’espoir est mieux que d’arriver ». Et en effet, c’est cela l’essence du stop.

La Patagonie, en stop 

De Puerto Natales à Ushuaia, de l’Argentine au Chili, sur la Ruta 40 et la Carretera Australe, de El Chalten à Cohyaique, on a parcouru plus de 2500 kilomètres en stop à deux, et il m’en reste à peu près 300 kilomètres à faire seule, avant de quitter la Patagonie. Tout cela en cinq-six jours sur la route. Il y a un dicton patagonien qui dit « qui se hâte perd son temps« . C’était un peu l’idée de notre parcours en fait.

Ce sont ces trajets qui me font penser à Paolo Rumiz et ses récits de voyage, où il choisit de suivre des courbes et des virages au lieu d’interminables lignes droites. Nicolas Bouvier décrivait, dans l’Usage du monde, l’importance de voyager lentement, par la route: « porté par le chant du moteur et le défilement du paysage, le flux du voyage vous traverse, et vous éclaircit la tête. Des idées qu’on hébergeait sans raison vous quitte ; d’autres au contraire s’ajustent et se fond à vous comme les pierres au lit du torrent. Aucun besoin d’intervenir ; la route travaille pour vous. » J’aimerais garder cela en tête pour mes prochains voyages.

Tips numéro 20: cliquez ici pour un peu de musique locale. Montez le son. Fermez les yeux et imaginez une route d’asphalte déserte et un horizon de steppe à perte de vue. C’est cadeau. 

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