Après plus de trois mois passés sur les deux territoires, un petit bilan s’impose. L’Argentine m’avait toujours plus attirée que son voisin filiforme. Je suis venue pour le maté, et le voyage m’a fait apprécier le Pisco.
Ma première impression de ce continent a été via Buenos Aires. Du maté, de la cumbia, des glaces et des « ch » plein la bouche. Des rues aux couleurs et aux accents européens. J’avais quitté mon pays pour l’inconnu, mais les Portuños parlaient avec leurs mains et je me sentais à Paris. Je m’y sentais tellement bien. « Les Argentins sont des Italiens qui parlent espagnol et essayent de ressembler aux Français ». Tellement vrai. Ceux qui connaissent mon amour pour l’Italie savent à quel point j’ai pu chavirer en arrivant ici. Rajoutez à cela un sens de l’hospitalité qui pour moi n’a pas d’équivalence en Europe, et voici la première vision que j’ai eue de l’Argentine.
J’ai ensuite quitté cet immense pays pour aller visiter la Bolivie et le Pérou, avant d’entrer au Chili. J’ai donc laissé filer trois mois avant d’y revenir, par Bariloche. Et entre temps, le Chili était passé par là.
Tout d’abord cher, très cher. Le royaume des inégalités. Plus Américains que les États-uniens eux-mêmes – systèmes d’éducation et de santé payants et hors de prix, les études y sont considérées comme les plus chères au monde par rapport au revenu médian. Puis immensément grand, et par conséquent difficile à traverser. Ce pays avait tout pour me plaire.
J’ai entendu plusieurs fois dans la bouche d’étrangers que les Chiliens avaient été « disciplinés » par les années Pinochet. Moins expressifs, moins exubérants, plus sages. Les Chiliens ressemblent plus aux Etats-Uniens et rentrent plus dans le moule du consumérisme que tout autre peuple Sud-Américain (Pinochet, encore?). C’est d’ailleurs le seul pays du continent qui n’est pas dans le Mercosur, l’alliance des pays d’Amérique du Sud, comme s’il avait voulu accentuer sa différence avec ses voisins. Après un mois à la parcourir du Nord au Sud, on en a conclu avec François que ce pays n’était pas vraiment « excitant », plus « plat » que les autres pays l’entourant.
J’ai donc retrouvé avec plaisir la gouaille Argentine, leur musique – et non ce reggaeton commercial passé en boucle dans les mall chiliens – et leur viande succulente. La nourriture chilienne ne vaut pas le détour, alors que je me souviendrai toute ma vie de la saveur du bife de lomo saignant mangé à Bariloche, entre deux courgettes grillées au grill et un verre de Malbec.
Puis, j’ai écouté les Argentins et les Chiliens me parler. Les deux peuples se détestent. Les Chiliens sont des traîtres, ils ont laissé l’Angleterre de Thatcher utiliser les bases aériennes de Punta Arenas pendant la guerre des Malouines. Les Argentins sont des fainéants et leur pays part à vau-l’eau. Dans le Sud, la plupart des routes chiliennes sont encore des pistes, alors que celles en Argentine sont faites d’asphalte. Et je ne parle pas de l’aspect ubuesque de leurs frontières communes, que j’ai traversé sept fois en tout. Interdiction de ramener fruits et graines sur le territoire! A croire que le Chili est une île… En réponse, l’Argentine fait pareil. Et moi j’ai perdu un miel, des cerises et plusieurs pommes dans l’affaire.
Heureusement, notre génération n’a pas connu les Malouines et les relations entre les deux voisins vont en s’améliorant. Les échanges se font plus facilement, notamment via tous ces jeunes Chiliens de la classe moyenne qui viennent de faire leurs études à l’université gratuite argentine, par manque de moyens.
Cependant, il y a un peu de vrai dans tous ces lieux communs. L’Argentine est un pays qui va mal. Tous ceux que j’ai croisé m’ont répété que tout est bloqué, à cause de la corruption. Le président actuel, Macri – non, ce n’est pas une faute de frappe – a plus de deux cent cas cas en jugement actuellement. Les Argentins ont beau avoir une forte culture des manifestations – et du ralage, à la manière française – les choses ne changent malheureusement pas. L’inflation est un réel problème. Fin août, le peso avait chuté d’un coût: de 35 pesos pour un euro, il était passé à 45. Aujourd’hui, il est toujours à 42. Pour moi qui voyage, c’est un avantage, mais les Argentins ne peuvent plus sortir du territoire par manque de moyens. Le coût de la vie augmente tous les jours. On parle de 48% d’inflation pour l’année 2018. Année où le pays s’est déclaré en faillite auprès du FMI. La faute aux politiques, selon le peuple, corrompus jusqu’à la moelle.
Quel dommage pour ce peuple à l’identité si intéressante! Parmi tant d’autres exemples, je ne pourrais oublier le nombre de fois où l’on m’a proposé de partager un maté, alors que cela faisait à peine cinq minutes que je discutais avec la personne en face de moi. C’est le symbole le plus fort de ce pays, synonyme de partage et d’ouverture aux autres, comme le port de Buenos Aires ouvert sur l’Atlantique, et l’Europe. On m’a accueilli pour un barbecue, on m’a offert le gîte et le couvert, de la plus simple des manières, alors qu’on ne savait rien de moi. Nulle part ailleurs je n’avais ressenti cette hospitalité, à part peut-être en Nouvelle-Zélande, dans une moindre mesure.
Et pourtant quel bordel que ce pays ! Les trois quarts des musées de Córdoba étaient fermés en janvier, l’équivalent du mois de juillet pour nous. C’est-à-dire pendant les vacances scolaires. Et à mes questions sur la logique de cela, on me répond « Es Argentina »! Je ne parle même pas des week-ends qui commencent dès le samedi midi, et des centres-villes complètement désertés. Cela m’attriste, mais je ne sais pas s’il y a une solution à cet état de fait. Et je ne sais pas dans quel état je retrouverai mon Argentine la prochaine fois que je reviendrai…
J’ai revu ma copie sur le Chili en janvier, un peu soûlée par la nonchalance argentine. Je n’y ai pas fait de rencontres incroyables comme au Pérou, mais j’y ai voyagé avec plaisir avec des amis qui me sont chers. Je n’ai pas été tout le temps dépaysée, comme au Pérou – encore, mais j’y ai vu des paysages incroyables. 4 300 kilomètres du Nord au Sud, ou l’équivalent de la distance entre Paris et Téhéran. Le pays le plus long et le plus étroit de la planète, complètement isolé entre désert de l’Atacama, cordillère des Andes, Antarctique et océan Pacifique. Et on y trouve certains de plus beaux paysages que j’ai eu l’occasion d’admirer pendant ce voyage, comme la Patagonie, la Vallée de la Luna, les collines de l’Elqui ou cette magnifique région des Lacs. Je n’y ai pas rencontré les gens les plus intéressants de ce continent, mais j’ai croisé sur ma route des personnes d’une grande générosité comme Guillermo et Victor, et toute l’équipe de la Hacienda. J’ai complètement explosé mon budget, contrairement à la Bolivie, mais j’y ai trouvé de tout dans les magasins et on s’est même fait un ciné en VO sous-titrée.
Cinquante-quatre jours au Chili et cinquante-deux passés en Argentine, et je suis toujours incapable de choisir entre les deux. Mon envie, avant ce voyage, était de passer du temps dans ces deux grands pays, et les connaître mieux. J’ai creusé un peu l’histoire, les noms de Salvador Allende, de Eva Perón, des Kirchner, ainsi que les différentes dictatures ne sont plus pour moi que des paragraphes dans les livres d’histoire du vingtième siècle. J’ai posé des questions sur l’accueil des nazis après la Seconde Guerre Mondiale, mais je ne pensais pas qu’on me répondrait que Hitler aussi s’était réfugié ici – oui, oui, les théories du complot n’ont aucune frontière. Je n’ai fait le tour complet d’aucun des deux pays, mais j’ai lu Pablo Neruda, et écouté Mercedes Sosa.
Valparaiso, Tilcara, Fitz Roy, Bariloche, Cochamo, ou encore Villarica. L’évocation de ces noms fera briller mes yeux pour les prochaines années, me transportant en pensée d’un côté ou de l’autre de la Cordillère des Andes. Et juste parce que mon coup de cœur du voyage se trouve être la région qui regroupe les deux pays, la Patagonie, je ne peux vraiment choisir.
Quoi que. On ne choisit pas vraiment de qui l’on tombe amoureux, non? Je peux donc pas vraiment expliquer mon attirance pour ce quilombo qu’est l’Argentine, et la place particulière qu’aura toujours ce pays dans mon cœur, à côté de la Nouvelle-Zélande et de l’Italie.
Tips numéro 28: visitez les deux pays et faites vous votre propre opinion, et parlons-en, ça m’intéresse !
Wouaw quel bel article sur l’Argentine qui ne me laisse pas indifférente en tant qu’expatriée française vivant et travaillant dans le toursime à Buenos Aires.
Effectivement difficile d’expliquer ce qui nous attire dans ce quilombo argentin et comme tu le dis si bien « on ne choisit pas de qui l’on tombe amoureux »… Dès que j’en ai l’occasion je conitnue à voyager en Argentine et me rendre dans chacune de ses provinces…
Je te laisse l’adresse de mon agence pour laquelle je fais des articles parfois. Si cela te dit d’y faire un tour : https://latam.beyondba.com/fr/blog/
En espérant que tu reviendras vite découvrir un peu plus de l’Argentine.
Bon vent ! 🙂
c’est beau
Gracias por tu comentario, me emocione cuando hablas sobre la calidad humana de mi Pais Argentina. Como lo dice el tango: nuestro pais es un cambalache, con la amabilidad de un premio Nobel!!!!
Quel article plaisant à lire ! Pour ma part, je suis quand même plus « Argentine » quitte à choisir car comme tu le dis si bien dans ton article, personne n’accueille mieux que les Argentins. Cependant, j’adore les deux paysages donc cela reste un choix compliqué !!
Vraiment quel article ca donne envie de prendre route de l’aventure!
merci infiniment de faire nous faire lire de votre expérience en Argentine.