Il me fallait du dépaysement après Mendoza et Córdoba que j’ai peu appréciées. Il ne me restait qu’une petite semaine avant mon rendez-vous à Iguazu. La région argentine de Misiones, coincée entre Paraguay, Uruguay et Brésil, était l’endroit tout trouvé pour un arrêt prolongé.
Une journée au Paraguay
Endormie par mes quatorze heures de bus – de nuit – depuis Córdoba, j’ai été assommée par la chaleur dès mon arrivée à Posadas, à la frontière paraguayenne. Cette chaleur sourde et humide, que je supporte difficileme nt. Qui me ramène à l’Asie du Sud-Est et mes pires heures là-bas, bagpack sur le dos, fontaine de sueur dégoulinant le long de ma colonne vertébrale.
En une heure et demie, je passe la frontière, et me voilà à la station de bus d’Encarnacion, au Paraguay. J’avais oublié le sourire des gens dans ces pays où le salaire est plus bas, et la vie plus dure, vue depuis notre point vue d’Européen. Après plusieurs voyages, j’ai toujours du mal à expliquer pourquoi ces gens semblent toujours plus heureux que nous Occidentaux. Peut-être justement parce qu’ils possèdent moins. Au terminal de bus, je retrouve avec stupeur cette odeur particulière que j’avais sentie pour la première fois à Melaka, et qui pour moi est l’odeur de l’Asie. En fait non, c’est juste l’odeur des régions tropicales, chaudes et humides. Rajoutez à cela la route couleur rouille, les conducteurs de moto sans casque, et les gens qui parlent guarani dans le bus, je pourrais me croire ailleurs. Il aura suffit de quelques heures, et me voilà complètement dépaysée.
Les missions jésuites me ramènent à la réalité. Je suis toujours dans cette Amérique latine colonisée il y a quelques siècles par les Espagnols et la religion catholique. Arrivés avec la couronne pour évangéliser et diffuser la culture hispanique, la compagnie des Jésuites a développé au XVème siècle des petites communautés autour d’églises, au milieu de la jungle, pour « éduquer » le peuple guarani (les natifs locaux). Avec les Portugais pas loin, leur rôle est vite devenu politique, avant que le roi d’Espagne ne les rappelle dans la péninsule ibérique en 1767, inquiet de l’influence croissante de la compagnie pour son propre pouvoir sur place. L’histoire est un peu plus complexe que cela, et vaudrait le coup de s’y pencher, mais j’avoue que sans guide et avec la chaleur qui y régnait, j’ai à peine approfondi le sujet. La Mission de Trinidad vaut néanmoins le détour. C’est le temple le plus grand et le plus décoré de la région, construit dès 1706. L’idée des architectes était de faire dans le style des églises baroques européennes, en s’inspirant notamment du Gesù, à Rome. J’ai pris le temps de m’arrêter également à la Iglesia y El Colegio de la Mision jesuitica guarani de Jesus de Tavarangue, à quelques kilomètres de là, avant de repasser la frontière. Ruines perdues au milieu des palmiers, dans une ambiance tropicale. A quelques détails près, on se croirait à Angkor Wat.
Les missions de Misiones
Posadas, Obéra, San Ignacio. Voici mon petit parcours d’une semaine dans cette région dont je n’avais jamais entendu parler il y a encore un mois.
Mariana, rencontrée à Upsallata, m’avait mise en contact avec sa sœur qui travaille dans le tourisme, à Obéra. J’ai filé vers cette ville qui n’apparaît pas dans les guides de voyage. Et pourtant. Rosana m’a trimballée partout. Le long du fleuve Uruguay, chez des locaux parlant un portugnol difficilement compréhensible à mes oreilles, aux thermes, et dans le jardin botanique de la ville qu’elle gère elle-même.
Il y a une grande biodiversité dans cette région, grâce à l’humidité. Cela me fait du bien après l’aridité de Córdoba et Mendoza. Mais tout de même, 35 degrés le jour, et un peu moins la nuit, ce n’est pas vivable pour une petite montagnarde comme moi. Impossible de dormir la nuit.
Avec Daniela, sa fille, elles m’ont fait goûté au terere, un maté glacé, plus adapté à la région, à la tequila-fruits de la passion, au gâteau chocolat-dulce de leche. J’ai partagé avec eux mon dernier asado, après deux jours à avoir été accueillie comme dans ma propre famille. Bel exemple final de l’hospitalité argentine!
J’ai repris le bus jusqu’à San Ignacio, en traversant le bled de Santa Ana. Dans ce tout petit village, on trouve une autre « reduccion », une autre mission: San Ignacio Mini. Aujourd’hui classée au Patrimoine mondial de l’UNESCO, c’est l’une des mieux préservées de la région. L’endroit était organisé comme une ville, avec des lieux de cultes et de travail artisanal (pierre, bois). L’art qui en a découlé est un mélange de baroque européen et d’art guarani. Les Guaranis étaient nomades, contrairement aux Incas qui avaient des lieux de cultes fixes, et des capitales, comme Cusco. C’est le peuple de la forêt américaine. Ils n’ont pas pu être mis en esclavage, parce qu’ils n’avaient pas l’habitude de travailler. Aujourd’hui, ce peuple natif n’a pas disparu, et les gens de Misiones parlent cette langue, qu’on apprend à l’école.
San Ignacio ce n’est pas que ça. Ce sont aussi des pluies tropicales qui tombent juste après ma session de run, des lézards partout, des bestioles qui piquent sans qu’on les voit, une belle et sportive balade en vélo au parc de Teyu Cuaré jusqu’aux ruines de la planque d’un nazi réfugié dans la jungle, et de belles rencontres, de celles qui me font regretter de devoir rentrer en Europe, comme Léa et Anthony qui commencent juste leur voyage, ou Pascal et Florian qui m’ont gentiment conduite jusqu’à Iguazu le lendemain matin.
Tips numéro 27: Misiones est la région où est produite l’herbe du maté. Ma mission était d’y acheter mon matecito et mon herbe. Je peux maintenant quitter l’Argentine sans regrets.